Mila de nulle part … Marie Murski

Un roman bouleversant et puissant

On se sent tout de suite imprégné par cette histoire ! L’écriture, les mots nous collent à la peau … 

Tous les sens sont en éveil ! On avance, au fil des pages, aux aguets, tendu à l’extrême et comme immergé, englouti dans les sensations !

On effleure, on caresse, on s’enivre et renifle l’humus de la foret, on écoute le bruissement des feuilles, le grouillement des insectes mais il y a derrière tout ça un cri de désespoir, un cri de détresse !! 

Une enfance abimée où le toucher est littéralement absent. Les caresses maternelles, le réconfort ne sont pas au programme ! Il faut avancer et se créer un univers ! Un univers qui lui, est gorgé de sensations où le toucher est décuplé !! 

Un hymne à l’espoir où au désespoir ! Un cri de douleur, de sidération par tant de cruauté, d’égocentrisme, de sensation de toute puissance de l’espèce humaine !

Un roman qui martèle son désespoir ! Une descente aux enfers qui semble depuis toujours programmée ! 

Quel bonheur de retrouver l’univers de Marie Murski, un univers onirique et poétique !!

Encore conquise !!  


« Il les traverse jusqu’à retrouver une souche massive vautrée au fond de la clairière. Là, sous les croûtes bosselées de son assise, dans un amas de tourbe, il retrouve la barre à mine et la pelle à manche court qu’il y avait dissimulées après le creusement de dernier tombeau. Il saisit la pelle, compte une quarantaine de pas à droite dans la clairière, s’enfonce à nouveau dans l’ombre dense bardée de troncs resserrés, une centaine de mètres sans repères, lieu totalement mémorisé, et de loin, soudain le voit; ainsi qu’il le pressentait, le guidon du vélo bleu est complètement sorti de terre. Expulsé, recraché par l ‘humus asséché, poussé par les racines, il pointe, découvert jusqu’au cadre tel un nageur remontant des profondeurs, coudes en avant, côtes saillantes. Rouillé bien sûr, mais encore bleu par taches; la poire-sonnette en forme d’ourson est collée en lambeaux contre le tube de métal, les poignées pourrissent en dentelles noires, comme égouttées. »

« Et voilà qu’un chien était mort enchainé à un arbre, sans avoir pu crier au secours. Les mêmes chiens, l’un dans la splendeur et la liberté, l’autre dans la hideur et le Mal. Les deux côtoyant le genre humain. 

Mila sentit les doigts de sa main gauche -les plus sensibles, les plus enclins à la lâcher – s’engourdir sous l’effet du choc. Elle imaginait l’agonie de l’animal, sa peur, et comment, à l’approche de la mort, cessant de tirer sur la chaine qui l’étranglait, il s’était rapproché du tronc. 

Glissant son museau encordé contre l’école, il avait levé la tête, regardé vers la cime du grand hêtre le spectacle magnifique de la haute futaie élancée vers le ciel, feuillage et lumière en parfaite harmonie, brillance des verts pâles et d’eau. Peut-être s’était-il apaisé, couvert de si doux scintillements. Il avait alors enlacé le tronc, l’avait agrippé de tout son corps, pattes écartées à l’extrême contre l’écorce, griffes tendues pour l’accrocher. Il était mort ainsi, enserrant le tronc dans une sorte de ferveur. »


« Son côté gauche trouvait enfin sa réalité, sa raison d’être en terre d’appartenance. Elle couchait son flanc, sa jambe, son pied palmé, ses côtes, son minuscule sein gauche, son épaule, sa joue mille fois mordue, sa tempe à la veine frémissante, tout cela – bravement aligné, raidi – s’appuyait sur les couches de terreau primordiales. » … « Sa main palmée fouillait la pourriture des fanes, les germinations hasardeuses, l’humus des larves, le corps mou des vermisseaux ; en reptation de pouce, trémulations de doigts, ongles petits soldats en première ligne, elle atteignait les radicelles, recevait et transmettait les radiations des chaines d’informations. Elle ne les comprenait pas encore mais pressentait quelque peu ce cosmos sauvage qui vibrait de pulsations universelles. La forêt passait par elle, strate après strate, d(harmonie en dissonances, d’équilibre en discorde, de magnificence en pauvreté …
Accueillie dans le clan des hauts fûts, Mila réalisa leur vertige ; sous l’humus elle perçut l’inquiétude, le mot Amour en déshérence, une résonance de peau de tambour livide qui, partout, appelait à l’aide … »

« Tout fut retranscrit dans le dossier ouvert le 2 novembre 1991, jour des morts et jour de la naissance de Mila ; ce dossier, qui reposait au sein des services sociaux dans une armoire métallique grise fermée à clé, fut souvent rouvert au fil des années pour compléments d’informations. 

Mila fut transférée en pouponnière sociale, puis deux mois plus tard, Austin d’une première famille d’accueil. L’enfant perdit ses quelques cheveux blancs, rien ne repoussa avant longtemps sur son crâne ovale et lisse. Olga vint la voir alors qu’elle avait onze mois. Elle se posta devant la chaise haute, regarda fixement Mila, demanda la femme qui se tenait là, un autre enfant dans les bras :

  • Elle est sage au moins ?

La femme acquiesça, mal à l’aise. Olga ajouta : 

  • Ce crâne chauve, ça n’augure rien de bon. On la croirait cancéreuse … »

Edition : In8

Publié en 2021

Genre : Roman

Laisser un commentaire

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑