L’auteure nous plonge avec ce recueil de Nouvelles dans l’univers d’une maternité.
Des histoires bien au delà des salles d’accouchement, c’est tout un panel de personnages qui s’y croisent, s’y rencontrent, s’y heurtent, … un lieu où le bonheur et le malheur s’y côtoient !!
Toutes ces femmes à un moment précis de leur vie, des femmes-mères, des femmes en mal de maternité, des femmes-mères encore enfants, … des enfants sans mères !
Puis le personnel soignant, attentif et bienveillant parfois confronté à ses failles, ses blessures où son engagement semble parfois bafoué par les échecs.
Des émotions exacerbées, presque des moments de grâce ! Des révélations déchirantes et impromptues ! Des enchevêtrements de vie, poignants, tristes parfois cocasses !
Et enfin cette injonction !! Etre mère pour espérer « rentrer dans le rang »! Un chemin, un parcours presque obligé ! Une pression culturelle, sociétal, …
Quelle sensibilité et quelle hargne dans ce recueil !
Conquise !!

« Rokia
Rokia est enceinte. Son corps alangui emplit l’espace, ses traits délicatement épuisés laissent deviner un ailleurs, elle se déplace lentement. Plénitude jouissance. Elle est heureuse de son corps alourdi, et Mathis, son homme, aussi. Ses seins se gonflent, se veinent, la peau se marbre. Elle prend du poids, s’en réjouit pour la première fois de sa vie. Se masse le ventre longuement le soir.
Elle ne boit plus une goutte d’alcool, a arrêté la délicieuse cigarette d’après déjeuner, se couche tôt.
Elle lit beaucoup, n’ignore plus rien de la bradycardie ou du périnée, rêve devant les catalogues, s’inscrit aux ateliers de parentalité positive.
Elle sort peu, se repose devant le feu de bois, corps en expansion, coeur dilaté.
Elle s’apaise, se révèle, tout lui est promis, tout lui est possible. Privilège et normalité. Elle est dans le rang. Elle rentre dans le rang.
Rokia est sereine. Enfin, assez sereine
Juste un peu malade, juste un peu lourde, un peu ralentie. Mais elle l’accepte, elle sourit, n’est-ce pas le prix à payer pour un tel bonheur ?
Longue liste de consultations, échographies, pries de sang, elle jongle avec application dans le dédale des rendez-vous. Elle trouve que cela ressemble à un parcours du combattant mais ne le dit pas. Elle se sent égoïste. »
« Léonie
Ils me font chier, c’est dingue … Poussez poussez poussez, ils me hurlent ça depuis tout à l’heure. Mais ils croient que je fais quoi, moi ? Que je joue au Scrabble ? Ben oui, je pousse, mec, je fais même que ça, je pousse à m’en pêter les veines, je gueule à m’en exploser les cordes vocales, il faut bien que je m’encourage, parce que si je dois compter sur eux … Eux, tout ce qu’ils veulent c’est que je sorte ce putain de bébé, ils essaient de m ‘appâter, « Allez courage, madame, on voit ses cheveux », mais ils croient peut-être que ça m’aide de me dire ça ? Ils voient ses cheveux et alors ? Ça m’aide à moins souffrir ? Ça m’aide à pousser peut-être ? Ça se saurait quand même. Et Bastien qui m’a déjà balancé la moitié du flacon de Brumisateur dans la figure … Arrête Bastien, tu vas me noyer si tu continues, lâche-moi … »


« La salle d’attente
On dirait un petit hall de gare. Gris, froid, impersonnel. Des rangées de chaises grises, un distributeur d’eau et des verres en plastique, quelques vieux magazines abimés d’avoir été trop consultés. A l’entrée, un large bandeau suspendu annonce ; Consultation d’infertilité
La pièce est bondée, le silence est pesant. Bien qu’il reste un siège libre, une femme se tient debout près de la fenêtre, impassible. Toutes attendent, la plupart sont seules. Certaines sont très droites dans leur coque en plastique, elles sont presque rigides, comme tutorées. Comme si elles luttaient de toutes leurs forces pour ne pas se laisser aller à la mollesse, comme si tout relâchement laissait instantanément craindre un écroulement total. D’autres sont un peu effondrées dans leur fauteuil, jambes écartées, on dirait qu’elles ont quitté leur corps. Ou bien est-ce leur corps qui les a lâchées ? Celle-ci est assise sur l’extrême bord du siège, prête à jaillir vers le bureau médical à l’appel de son nom. Celle-là tient un journal, le lit-elle ? Leurs regards sont fixes, la pensée tout entière tendue vers un but, un seul, devenir mère.
Elles savent que les enjeux sont forts, pour certaines, il en va même de leur vie de femme, de leur place dans l’humanité. Du moins, le croient-elles; à ce moment de leur vie. »
Editions Quadrature
L’objectif des Editions Quadrature est à la fois modeste et ambitieux : se dédier complètement à la nouvelle de langue française.
Genre : Nouvelles
Publié en 2023
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