Encore un beau recueil de Nouvelles des Editions Quadrature.
Luc Lens, l’auteur, nous propose des histoires insolites autour des liens parentaux. L’histoire d’un père, d’une mère, d’un fils, … des souvenirs, des révélations, des vengeances, des mensonges enfouis, des non dits, …
A chacun ses souvenirs, ses secrets, ses angoisses, …
Des personnages incarnés et « vivants » qui se battent et tentent de faire au mieux avec ce que la vie leur offre, leur impose, leur propose, …
Des fenêtres ouvertes sur des instants de vie, …
Une écriture juste où chaque mot a été pesé.
Entre féminisme, tendresse, poésie, délicatesse et élégance le lecteur se régale au fil des pages.
Charmée !

« Que je porte en moi
- D’où vient cette aura de jasmin autour de votre peau ?
- Je veux bien vous répondre, négocie-t-elle, mais à une condition: me dire pourquoi elle vous fait autant d’effet.
- L’explication est simple, commence-t-elle une fois attablés dans un coin du bar. Je passe une partie de l’été dans la maison de vacances de mes grands-parents près de Grasse. Chaque année, pendant quinze jours, je vais à la fleur, comme dit ma grand-mère. C’est comme ça qu’autrefois les saisonniers appelaient la cueillette du jasmin. Le travail est délicat, car les coroles sont légères comme du duvet. » … « Thomas, qui, au début, l’a écoutée avec la plus grande concentration, a été aspiré par les eaux profondes du souvenir. Sans lever les yeux, il marmonne comme pour lui-même: « Et dire que j’avais vu juste … ». Il replonge dans le silence. »…
« La première fois que j’ai senti l’odeur que vous portez, c’était ici. Il y a exactement vingt ans, le jour de la Saint-Barthélémy. J’avais dix-sept ans. J’étais en vacances dans les environ, à Labrousse. »
« L’aveu d’Eva
Il était posé sur la table du salon. Edmond se leva pour le déposer sur les genoux d’Elise. Il guettait sa réaction, partagé entre la gêne et la fierté. La première photo datait d’avant sa naissance. La jeunesse accentuait l’air farouche de sa mère. Elise apparaissait à la troisième page. Elle devait avoir une dizaine de mois. Elle essayait de tenir debout, accrochée à sa poussette. A la page suivante, elle se retrouvait un ou deux ans plus tard, hésitant à dévaler un toboggan. Les trente années de sa vie étaient ainsi rassemblées en une centaine de clichés, avec ou sans sa mère. Les dernières photos avaient deux ou trois ans à peine.
J’espère que tu ne m’en veux pas trop, ajouta Edmond.
Elise eut soudain l’impression que son existence tout entière n’avait été qu’une pièce de théâtre dont sa mère lui avait caché la trame. Pendant qu’elle s’agitait sur la scène, croyant vivre une vraie vie, un spectateur prenait des photos, dissimulé dans l’obscurité de la salle. N’avait-elle été toute ravie qu’un pantin manipulé ? »

« Le père que tu n’auras pas.
Qu’est-ce que la beauté ? Est-ce le modèle auquel la pression sociale et la publicité commandent à toutes les femmes de ressembler ? Si c’est le cas, on peut dire que je suis belle. Une belle femme n’a pas le droit de se plaindre. Elle a tout pour être heureuse. Si elle ne l’est pas, elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même.
Je ne me plains pas. Il se trouve simplement que j’ai toujours été incapable d’assumer le privilège que la nature m’a accordé. A quatorze ans, j’aurais voulu effacer la beauté de mon corps comme on gratte les tâches de cambouis sur ses mains. Frotter. Frotter. Jusqu’au sang, s’il le fallait. » …
« Je ne peux donc échapper aux têtes qui se tournent, aux yeux qui me parcourent de la tête aux pieds, qui s’attardent sur ma poitrine ou me déshabillent tout entière. Le regard des autres, le désir des hommes, la jalousie des femmes, tout me ramène sans cesse à mon apparence. Si je réussis un examen ou que je décroche un emploi, c’est parce que je suis jolie. Si j’échoue, c’est parce que je suis idiote. »
Editions : Quadrature
Publié en 2022
Genre : Nouvelles
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