Quel autoportrait inattendu et fascinant !!
L’auteur y égrène au fil des pages, ses goûts, ses envies, ses observations !! Une liste presque interminable …
Pas d’histoire mais des phrases brèves, avec au coeur, du burlesque, de l« absurde », de l’autodérision mais aussi, beaucoup de réalisme et de sincérité !
Un rythme dansant et percutant de vérité !!
Un autoportrait ludique où on a d’ailleurs envie de s’approprier certaines phrases, une envie de se reconnaître à travers les mots de l’auteur.
Lors d’un atelier, dans le cadre de La Nuit de la lecture que j’ai animé à la bibliothèque universitaire BU Lettres, SHS, STAPS, Sciences de Mont Saint Aignan en janvier 2020, un des participant m’avait interpellé avec ce livre. Son analyse et sa passion avait éveillé ma curiosité !! Je comprend maintenant son engouement !!
Conquise par cet Autoportrait !!
Pour les extraits je me suis donc amusée à relever uniquement les phrases où je me retrouvait à travers les mots de l’auteur !! Une sorte d’autoportrait à travers l’autoportrait d’Edouard Levé !!

« Je suis lent à comprendre que quelqu’un se comporte mal avec moi, tant je suis surpris que cela m’arrive: le mal est en quelque sorte irréel. »
La compétition ne me stimule pas.
Je n’oublie pas d’oublier.
Je préfère m’ennuyer seul qu’à deux. Je ne dis pas « A est mieux que B » mais « je préfère A à B » .Il m’arrive d’annoncer une bonne nouvelle me concernant à quelqu’un que j’aime et de m’apercevoir avec stupeur qu’il en est jaloux. Je ne peux pas mémoriser les prénoms des personnes que l’on vient de me présenter. Je ne sais pas interrompre un interlocuteur qui m’ennuie. Les échecs de mes ennemis ne me réjouissent pas. Je me demande comment je me comporterais sous la torture. Si je tourne en me regardant dans un miroir, vient un moment où je ne me vois plus. Je n’ai pas fait de prison. J’aime les lumières tamisées. Lorsque je choisis des cartes postales d’un même endroit, j’ai la tentation de varier les images, quitte à ne pas prendre plusieurs exemplaires de la meilleure, ce qui est absurde, puisque les destinataires sont différents.
Quand j’écris plusieurs cartes postales le même jour, je m’efforce de ne pas relater les mêmes événements, comme si les destinataires pouvaient un jour se rendre compte que j’ai écrit plusieurs fois la même carte.
J’ai fait par erreur des études difficiles qui m’ont servi à rien, alors que j’aurais pu faire par plaisir des études artistiques qui auraient accéléré ma vie. Je suis content d’être content, je suis triste d’être triste, mais je peux aussi être content d’être triste et triste d’être content. Le manque de sommeil me gêne moins lorsqu’il fait beau que lorsqu’il pleut. Je trouve les gens beaux indépendamment du moment, je ne me trouve pas toujours beau, donc je ne le suis pas. Boire m’endort. Je trouve parfois le juste mot d’esprit une heure plus tard. Je ne me réjouis pas du malheur des autres. Je reconnais m’être trompée. Je n’ai pas donné de coups de poing. Je n’entends pas vraiment ce que me disent les gens qui m’ennuient. Je regrette rarement d’avoir agi, et systématiquement de ne pas l’avoir fait. L’autoroute m’ennuie, il n’y a pas de vie sur ses bords. Sur l’autoroute, les paysages sont trop loin pour que mon imagination leur donne vie. Je porte des lunettes. Dans ma bouche, le temps du bonbon est lent. Je n’ai pas fini de creuser en moi. Je me justifie de moins en moins. Je ne pense pas finir en enfer. Si je me regarde longtemps dans un miroir, vient un moment où mon visage n’a plus de signification. Je n’achète pas de chaussures d’occasion. Le présent m’intéresse plus que le passé, …

- J’aime remercier. J’ai plus de bons que de mauvais souvenirs. Je lis plus le matin et le soir que l’après-midi. Il m’arrive de prendre conscience que ce que je suis en train de dire est ennuyeux, alors, je m’arrête soudain de parler. La télévision m’est dispensable. Je préfère me coucher que me réveiller, mais je préfère vivre que mourir. Je ne réponds pas aux remarques déplaisantes, mais je ne les oublie pas. Certaines personnes me fatiguent en quelques instants car je sais qu’elles vont m’ennuyer. Si cela ne me donnait pas l’air abruti, je resterai souvent la bouche ouverte. Je fais mieux les choses par plaisir et …
Une main qui écrase la mienne pour me saluer est aussi mauvais présage qu’une main molle ou humide. Quand j’ai faim, j’ai l’impression d’être maigre. Je redoute de faire pire en voulant faire mieux. J’ai l’intuition que mes enfants m’ennuieraient moins que les enfants des autres. Je me demande comment j’arrive à dire spontanément : « Oh là là ! »
J’ai une préférence pour les conversations à deux. C’est quand s’achève le ronronnement d’une machine que je m’aperçois qu’elle me gênait. Je ne mâche pas de chewing-gum. L’air conditionné me semble parfumé à la poussière et aux microbes. Je n’ai pas la nostalgie de mon enfance, de mon adolescence, ni de la suite. Au début de la pluie, je sens mieux les odeurs. Je saute de joie mais je ne m’effondre pas de tristesse. Je fais plus de choses lorsque j’ai peu de temps que lorsque j’en ai beaucoup.
Enfant, j’étais persuadé d’avoir un double sur cette terre, il avait le même âge, le même corps, les mêmes sentiments que moi, mais pas les mêmes parents ni la même histoire, …
Je pardonne, et je peux aller jusqu’à oublier les torts que l’on m’a faits, mais je pardonne difficilement qu’on ne me pardonne pas. Je comprend mieux la punition que la vengeance. Dans un diner, je ne suis pas acteur, il ne faut pas compter sur moi pour occuper le centre des conversations, mais je fais un bon spectateur, je ris, je m’étonne, je pose des questions.
Je ne raconte pas les histoires que j’ai lues ou les films que j’ai vus, je décris des impressions, je formule des jugements. Mon oeil n’est pas rassasié de voir ni mon oreille d’entendre. Je ne me lasse pas de photographier. Je n’aime pas que l’on me rende visite à l’improviste. Je n’arrive pas en avance car je n’aime pas attendre.
Le plus beau jour de ma vie est peut-être passé.
Edition : P.O.L
Genre : Autoportrait
Publié en 2013
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