Le Gendre Idéal … Gilles Delabie

Dès les premières pages nous sommes happés par cette ambiance … par ce saut dans le temps !!
Les années 60 … la guerre d’Algérie, enfin, les « événements » d’Algérie !! (p 30)
Ces « événements » vu de la Normandie, de Rouen puis … en parallèle tous ces meurtres qui s’enchaînent …

On se laisse embarquer par une écriture pertinente et vive
Un récit ou les protagonistes s’entrechoquent … et se percutent !!
Un monde où l’on se remet tout doucement de la grande guerre … où les « Boches » sont encore bien présents dans les esprits !!
Une « balade » entre roman historique … « conflit » politique … et polar !!

Une « dénonciation » de la haine … de l’abject … de la bêtise humaine … du « patriotisme fou » … avec un brin de fatalisme !! ou de réalisme !??
Un livre fort qui bouscule les convictions …
avec un petit clin d’œil au « Radeau de la méduse » de Géricault !!

Quel vrai bonheur de retrouver le style très particulier de Gilles Delabie !!
Je me suis délectée de cette rage … et de cette indignation !!

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p 29 « Il s’était même mis à en bricoler tout seul du malheur, et du comme il faut. Son mariage avec Clémence par exemple … L’union de la bourgeoisie et du fonctionnaire.
Ce n’est pas beau l’amour des fois. Ça vous tire une de ces gueules. Trente-trois ans … Il y avait eu du malheur, mais c’est le pire qui les avait lessivés, essorés, achevés. Ils avaient dû rendre les armes avec un divorce de convenance.
Quelle importance ? Leur fils Marc était mort. Cette mort-là les avait contaminés. Elle pesait de tout son vide comme un souffle phtisique, un vent mauvais qui soufflait à tous les points cardinaux de leur existence, il leur fallait se maintenir, s’accrocher
au pont, coûte que coûte. Pour Marianne leur fille, qui tissait son fil invisible, ultime cordon les rattachant à un quotidien pas trop bancal. Elle leur épargnait le désastre. »

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p 30 « Si la vie n’était pas toujours de la tarte, on se dépêchait, malgré tout d’éliminer les convives qui réclamaient leur part. Et quand il y avait trop de clients devant la pâtisserie, on faisait de la guerre pour préserver la vitrine … Gros
ou demi-gros, dans l’abattage, faut que ça débite. Sauf qu’aujourd’hui, on nommait ça autrement … Comment appelaient-ils cela déjà ? Ah oui ! Des « événements »! Les mômes partaient faire deux ou trois ans d’événements, là-bas, dans la France de derrière la Méditerranée.
On y mourrait tout pareil que quand ça s’appelait guerre, sauf que c’était pas de la guerre vu que c’étaient des « événements » … ou bien du « maintien de la paix« . Parfait ! Épatant ! Avec « maintien de la paix », on appréciait le sens salutaire de la mission,
dans l’esprit garde-champêtre oriental. C’était plus rassurant. Et puis … on conservait le côté boy-scout de l’expédition. Si le projet paraissait ludique pour les générations d’anciens troufions « qui en avaient bavé pour de vrai », il demeurait instructif pour
leurs fistons, dans le registre « les voyages forment la jeunesse …« . Ah oui! Une sacrée aventure qu’on leur avait organisée à nos jeunots ! »

p 41 « Aussi braves soient-ils, les homosexuels ne pouvaient prétendre à une existence paisible. » … « On pouvait les rejeter, les bannir, les moquer, les déporter, les interner, avec une bonne conscience, non dénuée d’un certain
humanisme -humanisme pétri de morale chrétienne et de rigueur scientifique.
D’éminents psychiatres décrivaient, avec grande précision, les tares psychiques responsables de leur déviance. Si le diagnostic était établi, le traitement restait à pourvoir. Le mariage était à l’évidence le meilleur remède. Le Petit séminaire s’avérait également curatif. »
… « Ces désaxés devaient songer à ne pas entacher la réputation de leurs proches, la morale l’exigeait. Dans leur grande majorité, tous s’y employaient. Il fallait leur reconnaître cette qualité : les pédérastes demeuraient des êtres éminemment sensibles. Fussent-ils sujets
à tous les calembours, moqueries et autres railleries ... Car le rire est le propre de l’homme, n’est-ce pas ? Ils n’en demeuraient pas moins forts discrets. Des « vieux garçons » inoffensifs. »

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p 115 « Legendre abandonnait sa posture de directeur. Sous son costume amidonné, son ton devint presque humain, de cette humanité dont sont dépourvus pics et sommets de toute hiérarchie.
– Il faut qu’il soit fou … Comprenez-vous ? La police se doit d’appréhender un aliéné, ce qu’il est d’ailleurs. Si possible en douceur, mais au grand jour … Ainsi le public en sera informé comme il convient.
– Comme il convient …
– Je ne vais pas vous apprendre la vie, Bouvier ! Lorsqu’on a de la merde jusqu’au cou, le problème n’est pas de savoir qui vient de chier, mais de vidanger proprement …
Legendre devenait poète.
– Torcher le cul de la République a toujours été notre affaire …, ajouta Bouvier.
L‘allégorie n’était décidément pas le fort de la Maison.
– Officiellement, un de nos hommes a perdu les pédales et il convient à nos services de faire le nécessaire.
– Je comprends … »

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p 311 « – Sauf que là, c’est nous les Boches ! C’est moi ! Ce sont mes hommes … On applique les mêmes méthodes pour tous ces bougnoules … Ce ne sont pas des tendres non plus, vous savez … Ils ont tué mon fils à petit feu; lorsqu’on l’a retrouvé,
il ne pesait pas plus de trente kilos et son corps était couvert de plaies. L’armée a fait sceller son cercueil par égard pour sa mère. Oui, ils sont comme ça les Arabes, durs et sournois. Au fond d’eux, ils ne pensent qu’à nous crever …
Jeunes ou vieux, le bonhomme et sa moukère, ils n’ont que la haine dans la peau …
Il faut dire qu’on ne s’est pas toujours bien comportés … Quand on a eu besoin d’eux sur le front, on était bien contents qu’ils se prennent du plomb à notre place et il paraît que ce n’étaient pas les plus dégonflés … Mais c’est une sale race, je peux vous le dire …
Entre eux aussi, ils se comportent comme des rats… »

https://www.francebleu.fr/emissions/france-bleu-et-vous-l-invite/normandie-rouen/gilles-delabie-le-gendre-ideal-editions-cogito

Edition : Cogito

Publié en 2018 

Genre : Polar 

Illustration Nicolas Koch 2018/ Fotolia

RENCONTRE  avec l’auteur …  Quelques questions pour tenter de découvrir qui se cache derrière le livre !!  

Quel est votre premier écrit ? votre premier texte ?
1er écrit : Je ne sais pas ! une chanson sans doute, mais j’en ai écrit des dizaines. Franchement, je ne peux répondre à cette question précisément, désolé.

Votre plus beau souvenir de jeune lecteur ?
Meilleur(s) souvenir(s) de jeune lecteur, sans hésiter, la série des « Petit Nicolas »de Goscinny et Sempé Je les ai lus et relus tout comme « Rahan » de Lecureux et Chéret et « Les six compagnons » de Paul-Jacques Bonzon.

Le livre qui vous a « déstabilisé » ? et pourquoi ?
Un livre « déstabilisant »… « Voyage au bout de la nuit » ce livre a ébranlé toute ma conception de l’écriture. Le style, le fond, les fulgurances de Céline m’ont servi de filtre à toutes mes lectures passées et futures.

Ecrire, vous donne l’illusion de quoi ?
L’écriture permet d’échapper à la dictature des « autres » tant que l’écrit reste intime. Publier, c’est s’y soumettre de nouveau..C’est une illusion, en effet.

Quel est votre thématique, votre genre littéraire (polar, roman historique, …), ce qui vous inspire et pourquoi ?
J’aime les livres qui m’apportent des émotions, de la réflexion, de l’étonnement. Romans ou essais. Je lis très peu de nouveautés (en entier…) et peu de polars, hormis Jonquet, Lemaître et Daeninckx parce-que leurs récits dépassent le genre.

Merci Gilles d’avoir accepté de répondre à ces quelques questions … 

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