Un roman fort ou se côtoie le Bien et le Mal … la douceur et l’absurde … l’amour et l’inconcevable …
Des chapitres sous forme … de courts récits … de fresques … de tableaux …
Des vies qui se percutent ... s’entrechoquent …
Des rencontres magiques … inoubliables … violentes … torturées … confrontées à la dure réalité de la vie … soviétique !!
La Russie … La dénonciation de l’idéologie communiste …La dictature / les censures de Brejnev … le Mur de Berlin
Les rêves … puis les désillusions d’un enfant sur les idéologies communistes !!
p 47 « Cet espoir ranima en moi mon rêve de la ville blanche, des hommes à la conscience nouvelle qui, selon notre institutrice, allaient vivre dans la société future. Oui, ces
êtres beaux, sereins qui n’accumuleraient pas et travailleraient passionnément à l' »édification de l’avenir » …
Des personnages forts …
Dmitri Ress « résistant » … Une quête de l’incompréhensible … « il critiquait non pas les tares spécifiques du régime en place, dans la Russie d’alors, mais la servilité avec laquelle
tout homme en tout temps renie l’intelligence pour rejoindre le troupeau. »
Alors peut être ces questions : Pourquoi se battre contre l’inévitable ? Pourquoi se battre contre l’homme qui, quoiqu’il arrive trouvera toujours un conflit pour
satisfaire ses instincts ?
Et Jorka l’infirme … « Parfois, je me rappelle aussi son avertissement à propos de ces premières fleurs de printemps, très délicates et dont les tiges fines et fragiles peuvent être brûlées par la chaleur brutale de notre sang.
Comme les âmes des êtres que nous aimons.«
Un livre poignant sur « l’espèce humaine » … son ambiguïté … son côté sombre … « sa rivalité bestiale » … son côté lumineux …ses moments de grâce … sa capacité à aimer malgré tout
et contre tout …
Un livre plein de sensations !! Bouleversant et à couper le souffle dans toute sa sagesse … sa beauté des sentiments et son fatalisme !!! Une belle œuvre littéraire !!!
Une écriture puissante … une analyse digne d’un virtuose !!
L’infime minorité
p 12 « Aujourd’hui, il doit y avoir dans le monde à peine une demi-douzaine de personnes à se souvenir de Dmitri Ress. Ma mémoire n’a préservé que deux
fragments, très inégaux. Deux éclats de mosaïque que, ne connaissant pas Ress, on croirait désunis.
D’abord, cette parole articulée avec une maladresse douloureuse par l’un des familiers : « Il l’aimait … comme on ne peut être aimé … qu’ailleurs que sur cette terre. »
L’autre fragment – son activité d’opposant – était d’habitude raconté avec la même hésitation confuse. Ce n’était pas le manque d’intérêt que les vivants finissent par témoigner
à un héros oublié. Non, plutôt l’incapacité de saisir la raison profonde du combat que Ress a mené jusqu’à sa mort. Une lutte à la Don Quichotte, pour certains, un suicide qui a duré vingt ans, pour les autres. …
Additionnant ses trois condamnations successives, on obtenait un total de quinze ans et quelques mois passés derrière les barbelés. La sévérité des peines tenait à l’originalité de son credo : philosophe de
formation, il critiquait non pas les tares spécifiques du régime en place, dans la Russie d’alors, mais la servilité avec laquelle tout homme en tout temps renie l’intelligence pour rejoindre le troupeau. »
p 14 « Le camp, au lieu de le faire frémir; le rendit inflexible. Libéré, il récidiva. Des dessins, des pamphlets qui tombaient déjà sous le coup d’une qualification plus lourdes: la propagande soviétique. »
p 17 « Ah, ces tribunes … En Occident, on a écrit des tonnes de gloses pour expliquer la société où nous vivons, sa hiérarchie, l’asservissement mental que subit la population … Et on n’a rien compris ! Tandis
que là, il suffit d’ouvrir les yeux. L’apparatchik en chef, on le voit d’ici, au centre de la tribune, un chapeau noir et ce visage plat comme une crêpe. Autour de lui, avec le minutieux respect des précellences, ses
sbires, plus ils sont loin de lui, moins ils sont importants. Logique. Le modèle suprême reste la tribune officielle de la place Rouge. Un peu de militaires, afin que le peuple sache sur quelle puissance repose l’autorité du Parti. »
p 20 « Un scénario de science-fiction. Demain, ce régime vermoulu s’écroule, nous nous retrouvons dans le paradis capitaliste et sur ces gradins montent des milliardaires, des stars du cinéma, des politiciens bronzés … Et vous savez ce qu’il
y a de plus cocasse ? C’est que la foule défilera comme si de rien n’était. Car peu importe de savoir qui remplit les tribunes, l’essentiel est qu’elles soient remplies. C’est ça qui donne du sens à la vie de notre fourmilière humaine. »
p 23 « Sa voix, libérée désormais du désir de contester ou de convaincre, sonna tel un écho venant d’un temps où ce qu’il
disait semblerait évident :
« Trois catégories … Les conciliants, les ricaneurs, les révoltés … Mais il y a … il y a aussi ceux qui ont la sagesse de s’arrêter dans une ruelle comme celle-ci et de regarder la
neige tomber, de voir une lampe qui s’est allumée dans une fenêtre, de humer la senteur du bois qui brûle. Cette sagesse, seule une infime minorité parmi nous sait la vivre.
Moi, je l’ai trouvée trop tard, je commence à peine à la connaitre.
Celle qui me libéra des symboles
p 29 « Ce n’était pas la première femme qui m’a ébloui par sa beauté, par la force patiente de son amour. Elle était la première, en tout cas, à me révéler qu’une femme aimante n’appartient plus à notre monde mais en crée
un autre et y demeure, souveraine, inaccessible à la fébrile rapacité des jours qui passent. Oui, une extraterrestre.
Et dire que notre rencontre a eu lieu dans des décors destinés à représenter une vie sans amour ! »
« Grâce à elle, je compris soudain ce que signifiait être amoureux : oublier sa vie précédente et n’exister que pour deviner la respiration de celle qu’on aime, le frémissement
de ses cils, la douceur de son cou sous une écharpe grise. Mais surtout éprouver la bienheureuse inaptitude à réduire la femme à elle-même. Car elle était aussi cette
abondance neigeuse qui nous entourait, et le poudroiement solaire suspendu entre les arbres, et cet instant tout entier où se laissait déjà pressentir le souffle timide du
printemps. Elle était tout cela et chaque détail dans le tracé simple de sa silhouette portait le reflet de cette extension lumineuse.«
Une doctrine éternellement vivante
p 81 « Notre erreur fatale est de chercher des paradis pérennes. Des plaisirs qui ne s’usent pas, des attachements persistants, des caresses à la vitalité des lianes : … Cette obsession de la durée nous fait manquer
tant de paradis fugaces, les seuls que nous puissions approcher au cours de notre fulgurant trajet de mortels. Leurs éblouissements surgissent dans des lieux souvent si humbles et éphémères que nous refusons de nous y attarder.
Nous préférons bâtir nos rêves avec les blocs granitiques des décennies. Nous nous croyons destinés à une longévité de statues. »
« Les gens qui vivront dans la société communiste auront un autre type de conscience que nous. Les magasins seront pleins et tout sera gratuit mais chacun ne prendra
que ce dont il a besoin. Pourquoi accumuler si l’on peut revenir demain ? «
Un don de Dieu
p 133 « Cela était encore plus vrai pour ceux qui, comme nous, dans le crépuscule du messianisme soviétique, avaient envie d’oublier la gravité ankylosante de ses décors. Mes
interrogations exaltées sur la société fraternelle se trouvaient depuis longtemps rangées parmi les vieilleries poudreuses d’autres rêves enfantins. Nous avions compris : seule notre joie de vivre comptait et pour ne pas nous laisser rattraper
par les croque-morts d’une idéologie pétrifiée, il fallait courir, ailé comme un funambule sur sa corde, d’un amour à l’autre, d’un plaisir volatile au suivant … «
Le poète qui aida Dieu à aimer
« Oui… Je la connais… C’est une femme qui… une femme qui, sans le savoir, a été aimée… comme on ne peut être aimé… qu’ailleurs que sur cette terre. »
Édition du Seuil
Genre : Roman, littérature Russe
Publié en 2011
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