Philida … André Brink

Mon auteur fétiche

j’avais 19 ans lorsque j’ai découvert André Brink grâce à un professeur de français avec le livre  « Une saison blanche et sèche« . Depuis j’ai continué à le suivre … j’aime son écriture toute en poésie, ses livres aux sujets graves !!

Un auteur engagé Anti Apartheid !!

Philida … son tout dernier roman … une Merveille … Un beau voyage !!

Je me suis régalée comme toujours !! André Brink nous livre un récit charnel, fort , souvent cru, sensuel et poétique à la langue émaillée de termes empruntés aux conventions orthographiques de l’époque ( merci pour le glossaire )..
Il nous dévoile un épisode emprunté à son histoire familiale : le maître de Philida était le frère de l’un de ses ancêtres ….
Un roman historique passionnant, poignant, ….
Un hymne vibrant à la liberté trop longtemps rêvé ….

Lundi 1° décembre 1834 : les esclaves sont libres…..
André Brink, une des plumes les plus marquantes d’ Afrique du Sud   disparaissait en février 2015….. »

Un Grand Monsieur de la LITTÉRATURE !!

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p 145 « A un autre moment, de but en blanc, elle demandait, par exemple : Ouma Nella, où est-ce que je suis pas ?
C’est moi qui te demande. Ouma Nella, où est-ce que je suis pas ? Tu es ici avec moi, Philida. ça fait beaucoup d’endroits où tu es pas. Dis-moi où ils sont, ces endroits. Je dois savoir. Pour que je puisse aller voir toute seule.
On se sent la tête tout à l’envers, et devant derrière, de ne pas savoir la réponse. Ouma Nella, où est-ce que je suis pas ? »

p 167 « Le taillis est un lieu d’une grande étrangeté. Tandis que les bambous se referment derrière moi, mon univers quotidien semble s’estomper. J’ai l’impression de ne plus connaitre ou reconnaitre quoi que ce soit, et personne ne me

connait plus. Tout ce qui reste, c’est moi. Même mon ombre a disparu. Dans le noir complet, je ne vois plus. J’en suis réduit à mon ouïe et à mon odorat. L’odeur forte des bambous, odeur de lointains, de solitudes, du large, de l’obscurité et de bêtes étranges.
D’endroits où personne n’est jamais allé, dont personne n’a jamais entendu parler. Dans notre enfance, la vieille Petronella nous racontait que ces bambous venaient
d’un endroit où elle-même avait vécu à une époque, Java, et qu’ils avaient été apportés par bateau avec des esclaves, des épices et des herbes aromatiques, avec des récits de jalousie,
de rivalités, de disputes, de sang, de meurtres, de longs couteaux. D’une certaine façon, tout cela imprègne les bambous de ce taillis ténébreux. Ce bois regorge de vie, résonne de sons mystérieux et terribles, surtout quand le vent se lève, mais même lorsqu’il règne un grand
calme et en plein jour. Quand j’étais enfant, ces bruits m’affolaient, on aurait dit que des spectres gémissaient, se lamentaient, grinçaient des dents et hurlaient, des êtres dont les mains et les pieds avaient été coupés avec des lames émoussées, la gorge tranchée très lentement : un univers terrifiant, fait de cliquetis et
d’étouffements, à l’opposé du mien, et pourtant effroyablement proche, bien trop proche pour me permettre de respirer en paix. Aujourd’hui encore, maintenant que je sais
que les bruissements sont produits par les tiges et les branches des bambous eux-même, il m’effraie, et, la nuit, c’est encore pire que le jour. »

 

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p 180 « Je songe à quelque chose que Ouma Nella me disait autrefois et qui m’aidait à poursuivre. Voici « Inutile pleurer sous la pluie, mon enfant , personne verra tes larmes. »

p 325 … 1er Décembre 1834, les esclaves sont libres !! « Depuis des années, cela plane comme une odeur dans le ciel, une odeur chargée qui vous enivrer et vous donner le vertige. Une odeur comme du vin ou du moût dans le vignoble.Mais même lorsque l’espoir est devenu certitude, on n’était pas prêt à y croire et à l’accepter.
Depuis trop longtemps cela imbibe la peau, le sang, les tendons et jusqu’au tréfonds de la moelle des os. Or, maintenant, soudain c’est là et, qui sait, c’est vrai. Lundi, 1er décembre, an de grâce 1834. Les esclaves sont libres.
Ou, plutôt, pas libres au sens où le sont les hirondelles ou même les cailles à queue courte, les moineaux et les cossyphes du Cap car, pendant quatre années supplémentaires, … chacun devra rester au service de son baas. Mais, n’empêche : libres. »

p 321 « C’était la lune, la même lune installée là-haut ce soir, exhibant son gros ventre, qui prétend rien savoir, alors qu’en fait elle connait tout très bien : un jour, la lune, une des deux mères du caméléon, vous vous en souvenez, l’envoie porter un message aux gens qui vivent en bas sur terre.
Les hommes n’y sont pas installés depuis longtemps, ils connaissent rien à la mort et à ce genre de phénomène. Donc, elle ordonne au caméléon : Va leur dire qu’ils ont rien à craindre. Regarde-moi, je suis la lune, parfois je suis ronde et pleine, comme maintenant, comme tu peux le voir par toi-même, et puis l’obscurité me grignote, je m’affine, jusqu’à disparaitre entièrement. Un
instant, on me regarde, puis, l’instant d’après, je suis plus là. Je suis plus partie. Or,après un certain temps,avant qu’on sache ce qui se passe, je me remets à gonfler, comme la vache avec un veau dans la ventre, et, un jour, je suis à nouveau pleine, brillante et pleine de vie. Eh bien, c’est pareil pour vous, les
humains. Vous aussi, vous vieillissez, vous rapetissez, et puis vous mourez. Mais pas pour longtemps, car, bientôt, vous vous relevez pour commencer une nouvelle vie. Voilà le
message que j’envoie aux gens. Ce qui vit doit mourir, et puis la vie recommence et rien est jamais passé. Un message d’espoir qui meurt jamais.
Bref. Le caméléon prend la route. Petits pas à petits pas précautionneux, chacun très léger.
Dans le ciel, le soleil regarde ce qui se passe en bas. Il est surpris par la progression du caméléon, qui avance lentement, inlassablement, sans effort, sans se presser. Sa curiosité est telle qu’il le supporte pas longtemps.
S’assurant que la lune le verra pas, il glisse jusqu’à la terre dans le but de découvrir quelle est cette histoire qui se déroule. Il appelle le lièvre et lui demande de le renseigner. Le lièvre va à une allure telle que, bientôt, il rattrape le caméléon et lui demande
dans son dos : Où vas-tu si vite ?
Il plaisante, cela va de soi, mais le caméléon est tellement concentré sur sa marche, encore sa marche, toujours sa marche, qu’il s’aperçoit même pas que le lièvre se moque de lui.
Quand, enfin, le ca-mé-lé-on a ter-mi-né de ra-con-ter très len-te-ment son his-toi-re, le lièvre détale si rapidement qu’il projette cailloux; sable et poussière tous azimuts, il retourne vers le soleil et lui raconte l’histoire.
Le soleil sourit dans les rais clairs de sa barbe. Écoute – moi, dit-il au lièvre. Tu vas trop vite. Je suis gros, rond, brillant et je brûle comme le feu du matin au soir. Mais, à la nuit, je me couche derrière les montagnes, je suis mort et tout devient funèbres.
Il en sera ainsi pour les humains. Ils naissent, ils vivent, et puis ils meurent et le monde entier s’assombrit.
Le lièvre détale, encore plus vite que la première fois, il dépasse le caméléon, rejoint les humains et leur raconte tout.
Écoutez le message du soleil. Il proclame ; Regardez-moi ! Le matin, je nais, ensuite je brille toute la journée, jusqu’au soir, et puis je meurs derrière la montagne. Il en sera ainsi
pour vous tous.
Les gens prêtèrent foi à son message et, depuis ce jour-là, la mort règne parmi eux.
Très longtemps  après, le pauvre petit caméléon arriva, porteur du message de la lune. Mais il était trop tard. Les gens avaient déjà entendu le message de lièvre et y avaient cru, de sorte qu’on pouvait plus rien y changer, et maintenant nous pouvons plus nous en dépêtrer. »

Édition : Actes Sud

Genre : Roman, littérature Sud-Africaine

Publié en 2014

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